On pense rarement au lien qui peut exister entre notre mode d’alimentation et notre santé cérébrale. Je vous propose de réparer cet oubli tout de suite, en se penchant sur les nombreux bienfaits du jeûne intermittent sur notre cerveau et ses performances.
L’autre carburant du cerveau
En temps normal, le cerveau, comme le reste du corps, utilise le glucose comme source d’énergie. Mais lorsqu’il n’y a plus de glucose disponible, soit après environ 12 heures de jeûne, un système se met en route pour compenser cette absence de glucose : la cétose. C’est un mécanisme qu’on retrouve aussi dans une alimentation très faible en glucides et élevée en lipides, comme le régime cétogène.
Comme l’explique Veech (1) dans son article, la cétose est un mécanisme qui permet au corps d’utiliser les acides gras comme carburant. Mais ces acides ne sont pas autorisés à passer la barrière hémato-encéphalique de notre cerveau. Alors le foie va d’abord transformer une partie de ces acides gras en cétones, qui sont envoyés dans le sang et peuvent passer la barrière sans difficulté.
Le cerveau se sert alors des cétones pour fonctionner, comme il le ferait avec le glucose. En plus, contrairement au glucose (à excès), les cétones ne provoquent pas de perméabilité de la barrière hémato-encéphalique ou d’inflammation. Que demander de plus !
Les cétones sont un booster d’énergie
Les cétones se transportent facilement dans le sang, et franchissent rapidement la barrière hémato-encéphalique de notre cerveau. Et ce, sans même passer par une phase supplémentaire de glycolyse, comme le ferait le glucose. Du coup, à leur arrivée, dans le cerveau ils vont directement dans les mitochondries (les “centrales énergétiques” des cellules) pour y être oxydés. Ces processus chimiques développés par Henderson (2) sont assez complexes, mais pour faire simple : les cétones rendent les mitochondries plus efficaces car ils nécessitent moins d'oxygène que le glucose pour produire de l’énergie.
D’après LaManna et al. (2), grâce à cette facilité d’assimilation, les cétones apportent au cerveau environ 25% d’énergie supplémentaire par rapport au glucose !
Sachant que les acides gras sont disponibles en grande quantité et libérés sur le long-terme, lors d’un jeûne notre cerveau bénéficie d’un niveau d’activité mentale optimal.
Jeûner c’est être plus concentré
Pour comprendre cette partie, il faut d’abord que je vous présente l’orexine A, grâce à l’étude de Mieda (4). L’orexine A est un neurotransmetteur fourni par plus de 30 acides aminés, et que l’on retrouve dans une zone du cerveau appelé l’hypothalamus. Les taux d’orexine A jouent un rôle important dans l’état de veille-sommeil, et lorsque ceux-ci sont bas, il en résulte des troubles de fatigue excessive en journée et de cataplexie (perte brusque du tonus musculaire).
La bonne nouvelle, nous est apportée par une étude de Almeneessier et al. (5) sur 8 hommes musulmans en période de Ramadan (qui mangent donc uniquement lorsque le soleil est couché). Les auteurs ont constaté que les taux d’orexine A augmentent la nuit lorsque les sujets ont mangé, puis baissent en journée pendant le jeûne. Cette augmentation en orexine A durant une période de jeûne, a pour but de nous placer en état d'alerte, éveillé et attentif à notre environnement afin de trouver de la nourriture.
Cet état d’éveil et de concentration a été également observé par D’Anci et al. (6) dans leur expérimentation, où ils ont fourni un régime allégé en glucides à 9 sujets. Les sujets, placés ainsi en état d’alerte, ont exprimé moins de confusion et ont répondu plus rapidement aux tâches de vigilance psychomotrice.
Des fonctions cognitives plus performantes
Les fonctions cognitives sont l’ensemble des capacités de notre cerveau en interaction avec le monde extérieur. Elles nous permettent de communiquer, de percevoir notre environnement, de mémoriser et d’apprendre, entre autres.
Je vous le disais, en état de jeûne notre clarté mentale est meilleure, nous sommes plus concentrés grâce à l’orexine A. Mais en plus de ça, l’utilisation des cétones comme carburant du cerveau permet d’améliorer nos fonctions cognitives.
C’est en tout cas ce qu’a mis en évidence Roger (7), en donnant à 20 sujets atteints d'Alzheimer une boisson à base de triglycérides à chaînes moyennes (TCM). Cet acide gras qu’on retrouve dans l'huile de coco, de palmiste et le beurre, se transforme particulièrement bien en cétones. Les résultats de l’étude ont montré une amélioration des performances au test de Alzheimer Disease Assessment Scale (ADAS). Ce qui signifie que les cétones nous permettent d’être plus performants sur les fonctions de mémoire, de compréhension, de langage etc.
En plus de cela, Mattson (8) a clairement démontré que le jeûne intermittent augmente la production de facteur neurotrophique issu du cerveau (BDNF pour Brain-Derived Neurotrophic Factor). Vous vous demandez à quoi ce truc peut bien servir. Je vous l’explique :
- Alors que la grande majorité des neurones sont formés avant la naissance, certaines portions du cerveau adulte conservent la capacité de créer de nouveaux neurones à partir de cellules souches déjà présentes. C’est ce qu’on appelle la neurogénèse.
- Le BDNF est une molécule (parmis les plus actives) qui aide à stimuler et contrôler la neurogenèse. On en trouve principalement dans des zones du cerveau dédiés à des fonctions cognitives telles que l’apprentissage et la mémoire.
- Une augmentation de production de BDNF signifie donc un développement neuronal plus important et des fonctions cognitives améliorées !
Protection du cerveau
Li, Wang et Zuo (9), comme leurs confrères dont je vous ai parlé précédemment, ont également trouvé que le jeûne intermittent améliore plusieurs fonctions cognitives. Pour expliquer ce phénomène, ils ont mis en évidence à travers leur expérience sur des souris, que le jeûne réduit le stress oxydatif dans le cerveau. Ce mécanisme (appelé aussi stress oxydant) est un facteur contribuant au vieillissement du cerveau et pouvant induire des lésions de cellules, le tout conduisant à des déficiences de mémoire et d’apprentissage. En d’autres termes, le jeûne intermittent ralentit le vieillissement de notre cerveau !
Je récapitule : des neurones qui se développent grâce au BDNF et des cellules qui vieillissent moins vite en raison de moins de stress oxydatif. Lee et al. (10) ont regroupé ces deux types de résultats dans leur expérimentation sur des souris. En les précisant avec l’idée nouvelle que le jeûne intermittent ne conduit pas tant à une hyper prolifération de nouvelles cellules, mais se concentre surtout sur la protection de ces nouveaux neurones en réduisant leur taux de mortalité. Grâce au jeûne, les cellules existantes vieillissent moins vite, de nouveaux neurones sont produits, et peu d’entre eux meurt. Si ça ce n’est pas un travail efficace du jeûne intermittent pour protéger notre cerveau...
Références
(1) Veech R. L. (2004). The therapeutic implications of ketone bodies: the effects of ketone bodies in pathological conditions: ketosis, ketogenic diet, redox states, insulin resistance, and mitochondrial metabolism. Prostaglandins, leukotrienes, and essential fatty acids, 70(3), 309–319. https://doi.org/10.1016/j.plefa.2003.09.007
(2) Henderson S. T. (2008). Ketone bodies as a therapeutic for Alzheimer's disease. Neurotherapeutics : the journal of the American Society for Experimental NeuroTherapeutics, 5(3), 470–480. https://doi.org/10.1016/j.nurt.2008.05.004
(3) LaManna, J. C., Salem, N., Puchowicz, M., Erokwu, B., Koppaka, S., Flask, C., & Lee, Z. (2009). Ketones suppress brain glucose consumption. Advances in experimental medicine and biology, 645, 301–306. https://doi.org/10.1007/978-0-387-85998-9_45
(4) Mieda M. (2017). The roles of orexins in sleep/wake regulation. Neuroscience research, 118, 56–65. https://doi.org/10.1016/j.neures.2017.03.015
(5) Almeneessier, A. S., Alzoghaibi, M., BaHammam, A. A., Ibrahim, M. G., Olaish, A. H., Nashwan, S. Z., & BaHammam, A. S. (2018). The effects of diurnal intermittent fasting on the wake-promoting neurotransmitter orexin-A. Annals of thoracic medicine, 13(1), 48–54. https://doi.org/10.4103/atm.ATM_181_17
(6) D'Anci, K. E., Watts, K. L., Kanarek, R. B., & Taylor, H. A. (2009). Low-carbohydrate weight-loss diets. Effects on cognition and mood. Appetite, 52(1), 96–103. https://doi.org/10.1016/j.appet.2008.08.009
(7) Reger, M. A., Henderson, S. T., Hale, C., Cholerton, B., Baker, L. D., Watson, G. S., Hyde, K., Chapman, D., & Craft, S. (2004). Effects of beta-hydroxybutyrate on cognition in memory-impaired adults. Neurobiology of aging, 25(3), 311–314. https://doi.org/10.1016/S0197-4580(03)00087-3
(8) Mattson M. P. (2005). Energy intake, meal frequency, and health: a neurobiological perspective. Annual review of nutrition, 25, 237–260. https://doi.org/10.1146/annurev.nutr.25.050304.092526
(9) Li, L., Wang, Z., & Zuo, Z. (2013). Chronic intermittent fasting improves cognitive functions and brain structures in mice. PloS one, 8(6), e66069. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0066069
(10) Lee, J., Duan, W., Long, J. M., Ingram, D. K., & Mattson, M. P. (2000). Dietary restriction increases the number of newly generated neural cells, and induces BDNF expression, in the dentate gyrus of rats. Journal of molecular neuroscience : MN, 15(2), 99–108. https://doi.org/10.1385/JMN:15:2:99
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